Dimanche 25 mars 1962, il est 7 heures 30 Alpha
(ou 6 h 30 Zulu si vous préférez) sur le tarmac d’in-Amguel.
Le temps est au beau fixe, mais il fait beau tous les jours dans le Hoggar à cette saison.
En cette matinée frisquette, une poignée d’aviateurs méritants et endimanchés fait les cent pas en devisant joyeusement autour du C47 qui va les emmener en excursion à Tamanrasset sous la conduite d’un sergent (sympa) de la STBS.
Vous allez me demander, pourquoi des aviateurs méritants ?
Ça à vrai dire je n’en sais rien, je suppose seulement que, faisant partie du groupe, il ne pouvait s’agir que d’une sélection au mérite
(vous ne pourrez pas voir mes chevilles les gars, parce que pour aller en ville on avait revêtu notre plus beau costume avec pantalon long, ledit pantalon masquant nos chevilles bronzées).
Nous avions tout pour être heureux :
Nous allions enfin visiter la ville mythique de Tamanrasset.Le cessez-le-feu marquant le début de la fin de la guerre d’Algérie n’avait pas encore huit jours, mais nous espérions déjà que la quille serait plus proche que les vingt-huit mois initialement prévus, et ce, même si ma solde mensuelle de caporal allait passer de 15,20 NF à 78,30 NF début août et même à 160,80 NF au-delà de 24 mois.
8 heures Alpha, notre C 47 prend la bretelle pour rejoindre la piste et nous nous envolons en direction de Tamanrasset.
Nous partions assez tôt car nous étions encore en France pour quelques mois, et qu’en France le dimanche tombant un dimanche et non un vendredi comme ça allait être bientôt le cas en Algérie, il fallait être sur place à temps pour qu’une (petite) partie du groupe puisse aller à la messe au bordj du Père de Foucauld, l’autre partie du groupe faisant une pose « vin de messe » au bistrot de la rue principale.
Nous étions encore en France mais déjà plus vraiment en France, comme nous allions le voir en ville avec des drapeaux algériens maintenant visibles un peu partout dans les rues, drapeaux souvent accompagnés d’affiches à la gloire de la révolution algérienne.
Nous étions en train de vivre en direct la fin d’une époque !
Au début du mois d’avril 1963, la France fut obligée de démolir le monument élevé en avril 1929 à la gloire du général Laperrine et au martyr de Charles de Foucauld.
Le monument qui était situé à proximité du bordj de Charles de Foucauld avait la forme d’une obélisque avec sur la face Est une plaque en bronze représentant le buste du père Charles de Foucauld et sur la face Ouest celle du général Laperrine.
Le monument avait fait l’objet de jets de pierres et l’effigie du Père de Foucauld était maculée d’excréments.
La démolition fut décidée avant l’évacuation des troupes françaises de la garnison de Tamanrasset.
Le curé de Tamanrasset savait que le cœur du Père de Foucauld se trouvait à l’intérieur du monument, mais personne ne savait où.
Le monument fut donc placé sous surveillance 24 heures sur 24 par l’armée française jusqu’à la démolition.
Le 26 avril 1963 les autorités françaises ont exhumé dans le plus grand secret le corps du général Laperrine, l’urne contenant le cœur du Père de Foucauld et les cendres des trois soldats qui avaient été massacrés au moment où ils s’approchaient du bordj où l’ermite allait être assassiné.
Le monument a été démoli puis le sol nivelé.
Rien ne rappellera plus à Tamanrasset le souvenir du général Laperrine.Le monument Laperrine en avril 1929, on voit à droite le bout du bordj du Père de Foucault.
Le monument Laperrine le 25 mars 1962, on voit le bordj derrière les branches.